Danser sous la pluie (Flashback #1)
Allongée dans mon lit. La fenêtre ouverte.
Je cherche le sommeil quand la pluie commence à crépiter dehors. Ce sont les souvenirs qui me trouvent alors que mes pensées sont libres de vagabonder en attendant de sombrer jusqu’à l’aube. Des histoires de lumière et de chaleur qui percent la nuit et l'humidité.
Il y a ce vieux souvenir, une image plus qu’autre chose. Je dois avoir moins de 6 ans, je suis à l’arrière de la voiture, il fait nuit et je regarde les lumières de la ville à travers les gouttes sur la vitre. Une multitude de ronds colorés et lumineux, comme une guirlande de Noël. Aujourd'hui encore, je trouve ça poétique d'observer le monde à travers une vitre décorée par la pluie.
Il y a cette fois où je rentrais d’une sortie à la bibliothèque avec ma classe de CE1 où CE2. Le ciel s’était assombri et avait fini par craquer à notre retour à l’école. On avait traversé la cour en courant sous les trombes d’eau, dans une joie excitée et candide que seuls les enfants savent déployer sans forcer. À la maison, Maman avait allumé la cheminée pour que je puisse me réchauffer.
D’ailleurs ça me rappelle ces journées pluvieuses où il faisait si sombre qu’on aurait dit qu’on suivait la classe en pleine nuit, dans une ambiance si particulière que m’y replonger génère toujours une forme de nostalgie chez moi. Comme l’odeur de la craie sur les éponges à ardoise qu’on rangeait dans une boîte ronde en plastique coloré.
Il y a cette fois, en vacances en Bourgogne, sur les terres que je n’ai jamais totalement abandonné d’appeler “chez moi” malgré l’accumulation des années loin d’elles. Ma tante habitait une maison de vigneron aux murs en pierre qui possédait une terrasse couverte donnant sur les vignes et sur laquelle j’avais plaisir à lire ou somnoler, lovée dans un grand fauteuil rond en rotin qui ressemblait à un nid. Ce jour là, j’avais regardé la pluie tomber, senti sa fraîcheur salvatrice au cœur de l’été, dehors mais à l’abri. Un entre deux que j’ai toujours particulièrement affectionné.
Il y a cette fois où un orage d’été m’a surprise à la sortie du travail. Traverser jusqu’à la gare avait été comme me plonger dans un air devenu liquide. Le train avait été bloqué une éternité à cause des intempéries, j’avais fini par avoir froid sous la clim.
Il y a cette fois où, au mariage d’un cousin, la pluie nous a surpris au milieu du vin d’honneur, entraînant un ballet improbable de robes et costumes courants maladroitement dans des chaussures inconfortables, la pluie arrangeant au passage quelques coiffures et maquillages mais n’emportant pas pour autant les rires réfugiés dans les bulles de champagne.
Il y a enfin ces nombreuses fois où l’orage, probablement un peu jaloux, est venu se mêler à nos fêtes d’été. Jusqu’à nous forcer à nous serrer dans l’espace sec sous la pergola, enroulés sous des plaids, barrières de fortunes glanées en catastrophe pour contrer la fraicheur apportée par le ciel au milieu de la canicule; ou à courir nous mettre à l’abri à l’intérieur en attendant que la tempête passe, dans la même excitation joyeuse que celle de mon enfance.
La fenêtre est ouverte et j’entends la pluie tomber.
Par deux fois j’ai eu des appartements dont les chambres étaient aveugles. Il m’arrivait de me bercer avec le son de la pluie enregistré sur mon téléphone.
Aujourd’hui, je garde toujours la fenêtre ouverte pour la laisser entrer.