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Les cloches du samedi

La première étude de l’homme qui veut être poète est sa propre connaissance, entière. Il cherche son âme, il l’inspecte, il la tente, l’apprend. Dès qu’il la sait, il doit la cultiver : cela semble simple : en tout cerveau s’accomplit un développement naturel ; tant d’égoïstes se proclament auteurs ; il en est bien d’autres qui s’attribuent leur progrès intellectuel ! — Mais il s’agit de faire l’âme monstrueuse : à l’instar des comprachicos, quoi ! Imaginez un homme s’implantant et se cultivant des verrues sur le visage.
Je dis qu’il faut être voyant, se faire VOYANT.
Le poète se fait voyant par un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens. Toutes les formes d’amour, de souffrance, de folie ; il cherche lui-même, il épuise en lui tous les poisons, pour n’en garder que les quintessences. Ineffable torture où il a besoin de toute la foi, de toute la force surhumaine, où il devient entre tous le grand malade, le grand criminel, le grand maudit, — et le suprême Savant ! — Car il arrive à l’inconnu ! — Puisqu’il a cultivé son âme, déjà riche, plus qu’aucun ! Il arrive à l’inconnu ; et quand, affolé, il finirait par perdre l’intelligence de ses visions, il les a vues ! Qu’il crève dans son bondissement par les choses inouïes et innommables : viendront d’autres horribles travailleurs ; ils commenceront par les horizons où l’autre s’est affaissé !

Arthur Rimbaud, "Lettre "Du voyant" à Paul Demeny", 15 mai 1871

Mon cher lecteur, nous sommes samedi. C'est un samedi ordinaire, je veux dire : si tu habites une ville, un village, sans doute qu'au moment où seront publiées ces ligne, s'affaireront quelques maraîchers installant des étals de fleurs, de miel, de fromage, ou de poulet rôti. Peut-être entendras-tu les cloches, ce rituel pluri-séculaire d'appel aux fidèles, ce vieux son évident et que l'on écoute sans vraiment entendre, peut-être inconsciemment comptes-tu pour savoir qu'il est huit heures, dix heures, etc, ou peut-être ne les entends-tu pas. Peut-être entends-tu l'appel du muezzin, ou peut-être que ton téléphone t'indique de façon stridente qu'il ne faut pas oublier tes gosses à la crèche, au club de rugby, de poney, de macramé, peut-être est-ce le moment de la corvée des courses - ne pas oublier le déca cette fois-ci - ou peut-être est-ce l'heure privilégiée de ton rituel à toi, ta séance de peinture, de yoga, de cross-fit, ton café avec ou sans sucre, tartines, clope ou méditation, ou peut-être que tu dors, bavant sur ton oreiller où tendrement enlacé avec ce corps divin ou devenu insupportable, ou tendre et aimé, en pyjama, en liquette, ou complètement nu-e, peut-être que c'est iel qui ronfle et que tu trouves cela adorable ou insupportable ou bien tu as appris à caler ta respiration sur son souffle et tu ne t'en rends même plus compte, bref, c'est samedi matin.

Moi j'écris, quelques heures avant toi, dans mon imaginaire de ton samedi matin qui ressemblera peut-être au mien, et je me dis merde, maintenant, maintenant que l'on ose écrire et que l'on a écrit à intervalles réguliers, Bad_Educatian et moi, maintenant, alors que nous avons des milliers d'idées dans la tête à écrire survient l'affreuse Procrastination, la garce, la déesse qui sait que nos idées ne sont pas si mûres, que l'on voudrait écrire encore mais, je me tape une insomnie juste avant le samedi des ronfleurs et du poulet rôti et je me dis mince, écrire, encore, et sans explication je pense à Thuthur.

Thuthur quand il a écrit cette citation en exergue, il avait, quoi, seize ou dix-sept ans ? C'est une lettre à son pote, son bro, si tu veux, c'est une lettre à son BFF Paul Demeny qu'il a rencontré parce qu'il avait fugué, l'été d'avant. Il ne supportait plus Charleville, la médiocrité provinciale, l'idéologie martiale de ces années de guerre franco-prussienne, sa mère et ses récriminations de mère - imagine : ce décalage entre tes troubles existentiels adolescents et ta mère qui te demande de mettre tes chaussettes au linge sale, mais s'il-te-plaît pour une fois fais attention, le bac de lingerie blanche et pas le bac de couleurs, alors que dehors c'est la guerre parce qu'un nabot qui a décidé qu'il s'égalerait à son tonton Bonaparte a besoin de rouler des mécaniques et que dehors, la bière, les filles, la vie, quoi ! Pas les chaussettes sales ! - bref, Arthur Rimbaud a seize-dix-sept ans, il a déjà fugué, il a squatté chez son prof (qui devait être ravi qu'après avoir dit à notre petit loulou qu'il avait du talent, celui-ci sonne à la porte en demandant "adoptez-moi"), bref, il a squatté chez Izambard qui devait être bien embêté, qui lui a présenté un autre loulou de son âge, Paul Demeny, et ils sont devenus copains comme cochons, partageant le goût, non du jeu vidéo ni des magazines La Redoute, mais bien, voilà le problème, le goût de la poésie. Donc, Thuthur a fugué, puis son prof Izambard l'a ramené chez la daronne parce que c'était la fin de l'été et qu'il fallait bien qu'il passe son bac, et Thuthur s'emmerde, il pense à ses fugues, à la bière, les souliers blessés et le paletot idéal, c'est toujours plus glorieux que le bachotage, il pense à la poésie et à son bro Demeny, et dégainant le GSM du passé, la correspondance épistolaire, il lui écrit ce texte en exergue de mon post. Moi j'aime bien les correspondances épistolaires, je les regrette, et surtout, j'ai eu seize-dix-sept ans, j'ai été révoltée et en colère, et ce qu'il écrit à Paul par contre, j'ai beau avoir le double de son âge maintenant, je ne m'en remets toujours pas.

Si je t'ai parlé des cloches du samedi matin c'est que je suppose, j'imagine, qu'Arthur Rimbaud les entendait le matin où il écrivait cela. Je ne sais pas s'il a écrit sa lettre un samedi matin, c'était peut-être un mardi soir, il en avait peut-être marre de travailler sa version de grec, peu importe, Arthur seize ou dix-sept ans coincé dans sa maison familiale à Charleville devait entendre les cloches et les maraîchers et sentir l'odeur du poulet rôti et se hurler en-dedans que La vie est ailleurs ! Ce qu'il écrit, du haut de sa révolte adolescente, sans se douter que cette lettre, plus de cent ans plus tard, sera copiée et recopiée et lue par d'autres milliers d'adolescents éreintés par le laborieux bachotage, c'est que sa voie, à lui qui ne croit pas assez pour prêter attention aux cloches, ou à la philosophie existentialiste - qui d'ailleurs n'a pas encore été inventée - ou à la pleine conscience ou ce qui donne sens à la vie, sera cela : éprouver jusqu'à l'extrême limite, explorer les méandres de sa conscience - Thuthur a deux ans de plus que Freud qui, à ce moment précis, doit être en train de se faire rouler dessus par ses hormones - et atteindre, par l'existence, pure, l'expérience, pure, la quintessence que les limites physiques de son corps et du hasard de la vie lui donnent à vivre. Bref, Arthur Rimbaud adolescent dit : on peut étudier la littérature, jusqu'à maîtriser par cœur la prosodie grecque, latine, on peut savoir scander l'hexamètre dactylique (le plus facile) et théoriser en veux-tu en voilà, le plus important, en poésie, c'est de vivre. Et par vivre il n'entend pas uniquement le kiff, la joie et l'ivresse, mais aussi le morbide, l'affreux, s'implanter des verrues sur le visage pour éprouver le dégoût et l'horreur, explorer les limites de l'existence jusqu'à... Quoi ? L'apothéose du martyr ? Certainement pas, ce serait du syndrome du sauveur tout hugolien et en cette fin de siècle, le romantisme de Victor Hugo passe de mode. Jusqu'à, simplement, qu'il "crève" pour que surgissent d'autres "horribles travailleurs" : les poètes. On est bien loin du mythe du génie inspiré par les muses. La poésie, dit Rimbaud, c'est avoir le courage de la laideur dans la glace, et pour... rien. Rien d'autre que la poésie en tout cas.

Alors, lecteurice, je t'avoue, moi, ça me sidère, cette histoire. Ça me sidère que l'on récite "Ma Bohème" en classe comme on apprend aussi par cœur "Il pleure dans mon cœur comme il pleut sur la ville", de Verlaine, amant de Rimbaud, de vingt ans son aîné, et qui finit, dans une nuit de beuverie, par lui tirer dessus. Ça me sidère que l'on ne sache pas - comme on ne sait pas, d'ailleurs, que dans "La Cigale et la Fourmi", La Fontaine défendait surtout la cigale, mais c'est une autre histoire - quelle révolte Rimbaud portait vraiment. Rimbaud qui ne savait pas qu'il finirait par crever de la gangrène, à la quarantaine, après avoir trafiqué des armes - ce qui est ironique pour l'adolescent anti-militariste - et avoir déclaré, à la vingtaine, que la poésie, ce n'était pas son truc. Il l'a vécu, son programme du voyant, en abandonnant la poésie écrite - peut-être pas la poésie de la vie - jusqu'au bout, jusqu'à crever de son propre corps en putréfaction, et voilà, les livres, les bouquins scolaires, le romantisme, et tu sais quoi ? C'est beau.

Dans quelques heures sonneront les cloches du samedi matin, et la rue sentira le poulet rôti. Arthur ce n'est ni toi, ni moi, mais j'imagine qu'il a entendu, senti aussi. Et même si son visage orne les livres, les manuels, les salons des dandys les plus romantiques, et que sans doute à cette pensée se retourne-t-il dans sa tombe, je pense à ce gamin de seize ou dix-sept ans, exaspéré de ses devoirs, qui décida un jour, sans penser la désillusion, l'abandon des lettres, le cynisme du trafic d'armes et la gangrène trop tôt, trop jeune, qu'il irait vivre en poète, dans des fringues minables, parce que pourquoi pas ça plutôt que la foi, la politique, que sais-je ? Je pense à mon insomnie, aux samedi matin, à l'ennui, et je m'endors en pensant à Arthur. Et je me dis qu'on a du bol, nous, lecteurs, qu'il nous ait laissé, entre seize et vingt ans, un petit bout de cette poésie-là.

Éloge de l'incertitude

"Qui se considérera de la sorte s’effraiera de soi-même et, se considérant soutenu dans la masse que la nature lui a donnée entre ces deux abîmes de l’infini et du néant, il tremblera dans la vue de ses merveilles, et je crois que sa curiosité se changeant en admiration il sera plus disposé à les contempler en silence qu’à les rechercher avec présomption."
Blaise Pascal, Pensées (1670), "Disproportion de l'homme"

Aux alentours du mois de mars 2020, la France, à la suite de l'Italie, et dans le sillage du monde entier, s'est confinée. Expérience stupéfiante s'il en est, moment historique, flottement et doute, en somme, réalisation concrète de nos fantasmes apocalyptiques. Je me souviens d'une nouvelle de SF de Greg Egan, dans Axiomatique (1995), imaginant une pandémie condamnant le monde entier à se confiner. Le récit déployait des images cauchemardesques de pillages au bout de deux semaines d'enfermement. L'auteur n'avait pas anticipé, en revanche, les rayons dévalisés de papier toilette, ni le bon sens civil qui poussa les habitants du monde à ne pas trop faire n'importe quoi. Nous avons collectivement accepté les consignes de sécurité, la protection de l'autre, la patience. Nous avons appris à vivre sans certitudes.

Enfin presque. Je pense à l'explosion des discours tonitruants défendant l'efficacité miracle de quelque molécule, profitant de l'urgence et de la peur pour court-circuiter le temps de la science et de ses vérifications ; je pense à l'invention de nouvelles théories du complot racistes, anti-élites, qu'elles soient scientifiques, commerciales ou politiques - il y eût bien, là, une confusion regrettable entre savoir et pouvoir, puisque les experts en médecine, pharmacologie, bactériologie, et j'en passe, furent les victimes collatérales de la haine contre l'industrie pharmaceutique. Je pense, et là me semble résider le plus grave, au récit d'une institution politique qui, ne pouvant se résoudre à divulguer sa propre ignorance - laquelle était tout à fait légitime, vu le caractère inédit du moment - se décida à raconter n'importe quoi, je cite : "les masques chirurgicaux ne servent à rien".

Loin de moi l'envie de prétendre que, à leur place, j'aurais fait mieux, machin, machin, non : je ne disposais alors d'aucune connaissance scientifique, politique ou extra-lucide qui m'aurait permis de dissiper l'angoisse. Il me semble en revanche que cette petite page d'histoire représente de manière significative cette incapacité à admettre simplement : "je ne sais pas".

Au lecteur, à la lectrice francophone qui me lira : te souviens-tu de l'affreux pensum des cours de langues étrangères, lorsqu'il s'agissait d'apprendre des listes entières de verbes modaux ? "I will" (je vais faire...) se distinguait de "I might" (je vais peut-être faire...). "Ich will" (je veux) se distinguait de "Ich möchte" (je voudrais). Le français ne manque pas non plus de ces infimes nuances : il est vrai, je sais, je crois, il me semble que, peut-être, nous pourrions supposer que... Nous disposons d'outils d'une certaine finesse pour parvenir à situer notre discours dans le continuum de la certitude. Il me semble - et Je, aka Bad_Conscience, veux ancrer cette hypothèse dans l'incertitude d'une voix féminine d'une trentaine d'années qui pense, qui questionne, sans aucune certitude absolue, et sans statut d'autorité - il me semble donc que ce ne sont pas les outils, mais la confiance pour admettre notre imperfection, qui nous manque.

Pourtant, fut un temps de notre existence où l'incertitude n'était pas une tare que nous cherchions à cacher. Vers l'âge de cinq ans, nous avons presque tous épuisé nos parents de nos "pourquoi ?". Dans l'enfance, nous nous accroupissions devant des fourmis pour en considérer le parcours, nous collectionnions, qui les minéraux, qui les feuilles d'arbres, et notre ignorance devenait la promesse de découvertes à venir. A quel moment ce désir de savoir - la libido sciendi, dit une jolie locution latine - s'éteint-il chez nous ? Est-ce la faute de l'école, de ses évaluations permanentes qui incitent l'enfant à toujours plus dissimuler ce qu'il ne sait pas par peur d'être stigmatisé comme "enfant idiot / inculte / etc" ? Je trouve cette réponse un peu facile. Car il faut nous entendre, collectivement, nous mettre à crier lorsque l'on a le sentiment de "perdre" un débat ; il faut le questionner, le complexe de ceux qui déplorent manquer de culture, comme s'il s'agissait d'un état de fait définitif. Et d'ailleurs, on les entend, les vociférations permanentes de ceux qui sans arrêt se targuent d'être les plus forts, les plus grands, les plus sages, même dans les situations du doute le plus inouï.

Or que dis-tu, lecteur, lectrice, à celle ou celui qui s'apprête à découvrir ta série favorite ? "Comme tu as de la chance !". Il existe certains moments où encore l'on parvient à se souvenir que l'ignorance est la condition nécessaire de l'éblouissement.

Alors je repense à ce passionné d'astronomie qui m'expliqua combien contempler les astres le berçait dans l'exaltation de l'infiniment grand. Il était plus âgé que moi, et sa voix vibrait de cette humble passion : "je n'y connais presque rien encore, et pourtant, quand je contemple l'infinité de l'univers, quand je me sens si petit, je suis heureux". Et s'il est facile de citer Pascal en exergue, comme je l'ai fait ici - parce qu'évidemment cela donne l'air érudit et que son fragment sur l'impossibilité humaine de rester en repos dans une chambre fut repris sans cesse dans tous les médias lors du confinement - je le fais pour rappeler ce petit détail, celui qu'on a tendance à oublier : quand Pascal aborde ce vertige existentiel à se retrouver pris entre deux infinis (l'immense et le minuscule, l'avant-naissance et l'après-mort), il évoque les "merveilles" et l'"admiration". Il n'est pas nécessaire de le suivre jusqu'au bout et de se convaincre, comme lui, que c'est l'existence divine qui est au cœur de cette ineffable jubilation, pour néanmoins ressentir cette dernière.

On accepte d'être ignorant quand on est enfant : la quête de la connaissance est celle qui, croît-on, nous permettra de devenir adultes. Peut-être pourrait-on décider que l'âge adulte, s'il est celui des certitudes, on ne devrait jamais vouloir l'atteindre. Après tout, ne plus rien avoir à apprendre, c'est un peu comme être déjà mort. A ce titre, personnellement, je préfèrerais demeurer toujours un peu ignorante.

Émergence de récits

Vous savez comment l’histoire commence. Un cliché. Prenez une soixantaine de personnes. Certains se connaissent, d’autres non. Réunissez-les dans un hôtel tranquille au cœur des Alpes pendant trois jours autour de leur intérêt commun, le jeu. Appelez ça « convention ». J’appelle ça une immersion, voire une retraite. Une coquetterie, pour en atténuer, en partie, les effets de la fatigabilité sociale.

L’histoire se termine toujours ainsi. Le retour à la réalité est douloureux, j’y reviens fébrile. Les idées se bousculent, nourries par des heures de jeux, d’échanges et de découvertes. Elles partent dans tous les sens. Je suis pris d’une hyperactivité cérébrale. Alors, je dois lire, me documenter, jouer, explorer des biographies, lire encore, parler, correspondre, écrire, créer, expérimenter, jouer de nouveau. Question de survie. Puis, attendre la prochaine retraite ludique et créative à la montagne, à la campagne ou à la mer. D’ici là, mon cerveau se perd en spirales et en arborescences, entre trip et souffrance.

Inspiration, quatre secondes. Expiration, six secondes. Six fois, une minute. Cinq cycles, cinq minutes. Trente inspirations et trente expirations pour ralentir les flux synaptiques. Choisir un sujet et (hyper)focaliser pour produire.

Depuis un quelque temps, je m’interroge sur la notion de narration émergente dans le jeu de rôle. La notion est bien connue dans le jeu vidéo. C’est un sujet largement traité par les game studies depuis un peu plus de deux décennies. J’en garderai une définition communément admise : un phénomène d'histoires contextuelles inattendues apparaissant durant le jeu. La notion est à distinguer, toujours dans le cadre du jeu vidéo, du gameplay émergent (utiliser le système du jeu pour accomplir des actions non prévues par les développeurs) et la narration procédurale (utiliser le système du jeu pour construire un récit), que l’on retrouve aussi dans le jeu de plateau. Les rassemblements ludiques sont propices, évidemment, à des observations, des expériences et des discussions.

Dans le jeu de rôle sur table, plusieurs personnes se réunissent dans un monde imaginaire, autour d’un récit (ou de récits) qui évolue au gré de la conversation, des décisions et des résolutions, souvent par le hasard, des actions des personnages. De fait, mon questionnement est erroné. Le jeu de rôle est, par essence, un jeu à narration émergente. On s'aperçoit rapidement qu’une partie va produire des récits non prévus, quand bien même la structure première peut être rigide. Écouter les participants qui racontent leur partie est toujours stupéfiant, tant les histoires diffèrent. C’est d’ailleurs la beauté du jeu de rôle. Si l’univers de jeu est partagé, parfois coconstruit, les histoires racontées par les joueureuses sont uniques. On retrouve évidemment des points de convergence. Les divergences se trouvent dans les émotions du personnage ressenties par la joueureuse, les perceptions de l’univers de jeu, les interprétations de la joueureuse, et son propre théâtre mental, fréquemment avec le biais induit par une petite dose d’apophénie (comprise ici comme notre capacité à nous identifier à quelque chose qui semble absurde à première vue, mais qui finit par nous correspondre en raison de notre nature à trouver des schémas dans des questions complexes, même s'il n'y en a pas à l'origine, et non avec son sens psychiatrique).

Par ailleurs, je dois bien avouer que la théorie LNS, quand bien même elle est désormais obsolète de l’avis même de son auteur, ajoute à la confusion. J’ai lu, entendu, vu tellement de personnes se déchirer autour du ludisme, du narrativisme et du simulationnisme, pris comme des catégories et non des parties d’un tout. Comme si, chaque joueureuse, chaque MJ, défendait une chapelle sacrée, sans savoir vraiment ce qu’elle abritait. Peu avait réellement compris que ce modèle constituait avant tout une grille d’analyse pour les concepteurs et les game studies. Son obsolescence n’empêche néanmoins pas sa pollution, pardon, son influence, de quelques échanges. Je tranche. Le jeu de rôle est ainsi, par essence, un jeu narratif. Les participants sont là pour partager un univers, des aventures, des récits et construire une histoire. Point final.

“Narrative in a game is not a mechanic. It’s a form of a feedback.”
– Raph Koster (2012)

Reste la question première, celle de l’émergence. Dans la littérature consacrée aux jeux vidéo, on trouve une distinction intéressante entre le récit embarqué et le récit émergent (Amiri, Fouad. 2019. Narrative in Story-Driven Video Games: A Comparative Study of Emergent, Embedded and Mixed Narrative Techniques). Le premier est défini par « une structure rigide qui nécessite d'établir en amont tous les détails de l'histoire et de ses potentielles variations. Chaque décision et action du joueur lui permet alors de progresser dans l'arbre du récit préétabli » (Chauvin, Simon. 2019. Un modèle narratif pour les jeux vidéo émergents ). Les campagnes et les scénarios du commerce des jeux de rôle « classiques » (L’Appel de Cthulhu, D&D, Pathfinder, etc.) répondent souvent à cette définition, les livres dont vous êtes le héros, également. D’après Chauvin, « les récits émergents sont au contraire indéfinis et se manifestent sous des formes variables ». L’émergence est ici « la capacité d'un système à créer des comportements non explicitement prédéfinis, mais qui pourraient être dérivés de l'ensemble des règles de ce système ». On y retrouve les campagnes « bac à sable », entre autres. Certains jeux solo (journalling) ou épistolaires et les jeux construits sur des tables ou de l’hexcrawl, par exemple, entrent par ailleurs dans cette catégorie, en considérant les narrations procédurales comme une forme de narration émergente.

Jusqu’à présent, je ne me place que du côté du système de jeu qui conduit à une forme d’émergence qui dépasse, on le pressent, le cadre de la narration. Il sera aussi nécessaire de s’intéresser à « l’agentivité » des joueureuses (player agency, décrite, de manière générale, comme le phénomène par lequel un joueur estime que les actions qui lui sont proposées dans le contexte du jeu ont un sens et que son choix d'action a une incidence significative sur le contexte dans lequel il s'engage.), un point central dans la construction narrative (”Naked and on Fire”: Examining Player Agency Experiences in Narrative-Focused Gameplay.).

Le lecteur attentif aura remarqué que j’utilise trois termes, narration, récit et histoire, souvent de façon équivoque. Les sens usuels de la narratologie (Gérard Genette définit l’histoire comme la suite des événements et les actions qui se déroulent, le récit comme la représentation de cette histoire, la manière dont elle est racontée, et la narration comme l’acte de raconter l’histoire) le sont moins.

Voilà donc ce qui m’attend, en plus de la pile bibliographique accumulée en réfléchissant à la question : me former à la narratologie, interroger le rôle des joueureuses, et expérimenter la création de jeux à histoire émergente. Pas forcément dans cet ordre.

Se remettre en jeu

Quand j'étais jeune adolescente, mon premier amoureux partageait avec moi le même imaginaire. Nous nous passions des CD, nous conseillions des jeux vidéos, regardions des films ensemble. Pourtant, quand je lui parlais d'un bouquin qui me plaisait, il renâclait : "Je n'aime pas lire. Pourquoi me fatiguer à imaginer quelque chose quand, la plupart du temps, un film l'a illustré pour moi ?". Nous étions dans les années 2000 ; cela n'a pas empêché ce jeune homme de poursuivre une jolie carrière universitaire.

Dernièrement, j'ai eu l'occasion d'échanger avec un passionné de bande-dessinée des adaptations de comics au cinéma - notamment d'Alan Moore. Je déplorais la simplification idéologique du portage de V for Vendetta à l'écran, avec la réduction radicale de l'ambiguïté morale du personnage de V. Il m'expliqua que toute adaptation suppose, mécaniquement, simplification, ajouta que le grand public se satisfaisait rarement d'une fin ouverte.

Ce matin, je lis un article de Jianwei Xun publié sur le site du Grand Continent à propos du "dispositif hypnocratique" à l’œuvre dans le discours d'investiture de Trump (NB : l'identité de l'auteur étant elle-même matière à étonnement, je joins sa présentation comme deuxième lien dans cette phrase). Ce qu'il définit comme "hypnocratie", c'est une méthode de contrôle des masses par un discours soigneusement calibré, tant en termes de stylistique que de métaphores et tropes, conduisant l'auditeur à renoncer à une pensée rationnelle pour entrer dans un mode de pensée de croyant fanatique. Le mythe et la fiction accaparent l'espace du doute cartésien et de la logique. Le fantasme messianique phagocyte l'esprit critique.

Le concept "hypnocratie" du dispositif/personnage Jianwei Xun - puisque, si vous avez lu le deuxième lien, vous aurez compris que je ne peux le qualifier de personne physique - me semble révéler un processus bien antérieur à l'arrivée au pouvoir de Trump et Musk ; c'est celui qui, je crois, était déjà latent dans le constat de mon premier amoureux ; c'est peut-être aussi celui qui, en France, depuis quelques décennies, a rongé le prestige moral des Humanités au profit, d'abord des sciences, puis de l'économie. Dans les années 2000, alors que j'étais bonne élève, j'ai dû longuement argumenter pour que mes parents acceptent que je suive une filière littéraire. Je me souviens de ma mère m'avertissant : "en terminale, si tu vas en filière littéraire, tu n'auras pas de cours de maths !", et moi rétorquant : "mais si je vais en filière économique ou scientifique, je n'aurai pas de français !". Peu à peu, le cours de littérature a été perçu, chez le tout venant, comme un cours de grammaire, d'orthographe, ou de mignons petits récits inoffensifs. Pire : depuis quelque temps, notre sensibilité s'est exacerbée au point que certains textes classiques sont devenus quasiment in-enseignables. Tel est le cas, par exemple, "De l'horrible danger de la lecture", de Voltaire, récit satirique dont le narrateur, un muphti de l'empire ottoman, met en garde contre la lecture comme favorisant l'émancipation, donc la possible rébellion, du lecteur contre l'arbitraire étatique. Tel est le cas, également, "De l'esclavage des nègres", de Montesquieu, qui par le même procédé que Voltaire - donner la parole à un narrateur esclavagiste - tourne en dérision l'argumentaire raciste anti-abolitionniste. Dans ces deux cas, l'ironie est de moins en moins perçue par les jeunes ; le risque d'une colère des ados, de leurs parents, devient tangible pour l'enseignant qui voulait enseigner la finesse humoristique des Lumières autant que l'esprit critique. Mais ici je ne parle que de la France. On connaît, aux États-Unis, la terrible tendance à censurer des listes de bouquins entières des établissements scolaires et autres bibliothèques.

Or nous voilà dans un joli paradoxe : le récit et le mythe irriguent notre quotidien. Les réseaux sociaux, les discours politiques, l'industrie du divertissement nous abreuvent de fantasmagories diverses - l'article de Jianwei Xun évoque notamment le mythe de l'âge d'or, topos régulier dans nos récits fondateurs antiques, qu'il s'agisse par exemple d'Hésiode, de Virgile, ou évidemment de l'Ancien Testament. Mais par un même mouvement, sans que nous y ayons pris garde, s'est retrouvée confisquée notre liberté à confronter des récits discordants.

Ainsi, tandis qu'en France, les études les plus prestigieuses proposent des cours de rhétorique et d'art oratoire, les heures de français du secondaire se sont réduites à peau de chagrin au cours des dernières décennies. Ainsi, tandis que Trump et Musk - sans doute en cela aidés par de brillants quoique anonymes ghost writers - jouent le sophisme le plus raffiné à l'aide d'outils littéraires pointus, combien d'électeurs ont-ils eu l'occasion d'étudier un corpus sur le mythe de l'âge d'or, et, de fait, reçu les outils d'analyse et d'esprit critique suffisant pour questionner le discours d'investiture ? Officiellement, l'étude de la littérature est devenue une passion coûteuse, inutile et frivole ; officieusement, ses outils sont confisqués par les élites. Je ne compte plus les fois où je me suis entendu dire que l'apprentissage par cœur des figures de style au lycée avait été une perte de temps ; pourtant, il me semble utile d'identifier l'anaphore et la métaphore ("Nous sommes en guerre") pour éviter la pétrification par le discours.

Qu'on ne se laisse pas prendre à l'apparent paradoxe : les plateformes de VOD se sont multipliées et renouvellent leur catalogue d’œuvres constamment ; la production d’œuvres de fiction comme la romance et tous ses avatars semble chaque mois croître un peu plus ; l'illusion est celle d'un foisonnement culturel. Cependant, ce foisonnement s'établit en se polarisant, à l'instar des nœuds communautaires des réseaux sociaux, en répétant à l'envi les mêmes schémas prêts-à-penser. On consomme sans arrêt le Même, le récit rassurant, décliné sous tant de variations cosmétiques. On le consomme le soir en rentrant d'une journée éreintante, pour "reposer le cerveau", en doudou rassurant contre nos angoisses existentielles.

Il me semble qu'il faudrait redonner à la fiction ses lettres de noblesse. Lire, faire lire, conter des histoires surprenantes, des histoires qui dérangent. Cesser d'écrire en bandeau d'un livre "inspiré d'un fait réel", qui donne l'illusion d'une abolition de la fiction au profit d'un discours unique, celui de la Vérité, et au contraire défendre la puissance créatrice du rêve, du Faux, de l'imaginaire construit et factice. Il faudrait lire, faire lire, ce corpus de l'âge d'or, dans lequel Ovide, par exemple, fait couler des fleuves de nectar et de miel (Les Métamorphoses), pour rappeler la part de métaphore, donc de fiction, de poésie à interpréter, dans les grands discours fondateurs, et ainsi empêcher l'hypnocratie de nous piéger dans ses filets. Lecture, jeu de rôle, comédie, art, et j'en passe, ne devraient plus être présentés comme des divertissements risibles, mais comme une école de l'interprétation, de l'esprit critique, et du libre arbitre. Multiplier les fictions discordantes, rappeler, pour citer Chimamanda Ngozi Adichie, le Danger de l'histoire unique (titre de l'un de ses essais que je conseille au passage), se réjouir du jeu entre nos discours plutôt que chercher à le réduire par une quête de Vérité asséchante, puisqu'après tout, qu'y a-t-il de plus sérieux que le jeu ?

Du post-apo et du féminisme

"Il y a des moments où je pense avec plaisir au temps où il n'existera plus rien à quoi je puisse m'attacher.

J'en ai assez de savoir d'avance que tout me sera enlevé. Mais ce temps n'arrivera pas, car aussi longtemps qu'il y aura dans la forêt un seul être à aimer, je l'aimerai et si un jour il n'y en a plus, alors je cesserai de vivre. Si tous les hommes m'avaient ressemblé, il n'y aurait jamais eu de mur et le vieil homme ne serait pas couché près de la fontaine, métamorphosé en pierre. Mais je comprends pourquoi ce sont les autres qui ont toujours eu le dessus. Aimer et prendre soin d'un être est une tâche très pénible et beaucoup plus difficile que tuer ou détruire. Elever un enfant représente vingt ans de travail, le tuer ne prend que dix secondes. Même le taureau a mis un an pour devenir grand et fort et quelques coups de hache ont suffi à l'anéantir. Je pense à tout ce temps pendant lequel Bella l'a porté patiemment dans son ventre et l'a nourri ; je pense aux heures difficiles de sa naissance et aux longs mois qu'il a fallu pour que le petit veau se transforme en un puissant taureau. Le soleil a dû briller pour faire pousser l'herbe dont il avait besoin, l'eau a dû jaillir et tomber du ciel pour l'abreuver. Il a fallu l'étriller et le brosser, enlever le fumier pour que sa litière soit sèche. Et tout cela a eu lieu en vain. Je ne peux m'empêcher d'y voir un désordre horrible et excessif. L'homme qui l'a abattu était certainement fou, mais sa folie même l'a trahi. Le désir secret de tuer devait déjà sommeiller en lui auparavant. Je pourrais aller jusqu'à en avoir pitié puisque telle était sa nature. Pourtant j'essaierai toujours de l'éliminer, parce qu'il m'est impossible de supporter qu'un être ainsi constitué puisse continuer à tuer et détruire. Je ne pense pas qu'il en reste un autre de son espèce dans la forêt, mais je suis devenue aussi méfiante que ma chatte. Mon fusil chargé est toujours suspendu au mur et je ne fais pas un pas dehors sans mon couteau de chasse aiguisé. J'ai beaucoup réfléchi à toutes ces choses et je suis même parvenue à comprendre les meurtriers. La haine qu'ils ressentent envers tout ce qui peut engendrer une vie nouvelle doit être terrible. Je le comprends mais je dois me défendre contre eux, moi personnellement. Il n'y a plus personne qui puisse me protéger ou travailler à ma place et me permettre ainsi de me livrer à mes spéculations sans être dérangée."

Marlen Haushofer, Le Mur Invisible (1968), traduit de l'allemand par Liselotte Bodo et Jacqueline Chambon, Actes Sud, "Babel", pp. 187-189

Nous nous étions retrouvées un 8 mars. Elle était arrivée ce samedi de soleil, avec son sac à dos de randonnée, au cœur du béton de ma ville - ville qui avait été la sienne aussi - et on s'était promis un café avant son train. On avait bien songé au départ à défiler ensemble, mais son sac lourd et mon vague à l'âme, les contraintes ferroviaires, on a choisi de s'attabler en terrasse d'une librairie-café féministe qu'elle ne connaissait pas encore. Il y avait des morceaux de vie à rattraper, avec la tendresse et l'écoute qu'offrent les amitiés les plus profondes, celles qui ne s'offusquent plus du silence et du temps. Nous avions habité ensemble autrefois, à plusieurs reprises : j'étais effarée qu'elle accepte, et souhaite, ma compagnie chaotique, puisqu'elle était revenue. Nous ne nous ressemblons pas, et pourtant nous sommes devenues des sœurs choisies. Moi qui ai tendance au repli dans le silence, et qui suis très mauvaise pour entretenir des conversations à distance, je voulais lui rappeler combien elle comptait pour moi, une amitié sans rivalité, tranquille comme le Rhône. Je lui ai offert ce bouquin de Tal Madesta, Désirer à tout prix, pour ce formidable chapitre affirmant l'amitié comme aussi importante que les relations romantiques - ce chapitre me renvoyait à chaque ligne à elle. En échange, elle m'a offert Le Mur Invisible. Elle m'a dit : "c'est un roman, pas un essai, mais tu verras, c'est aussi un livre féministe, à sa façon." Je suis en train de le terminer, ce n'est plus qu'une affaire, non de jours, mais d'heures. Avant, je lisais la saga de space-opera des Voyageurs, de Becky Chambers. Ce matin, en cherchant la page Wikipédia de l'autrice, j'ai découvert qu'elle aussi était qualifiée d'écrivain féministe (je n'aime pas écrire écrivaine, parce que le mot contient l'adjectif vaine. C'est comme si la féminisation réactivait le vieux sème réactionnaire de la vanité appliqué aux femmes. Je préfère autrice, même si mon téléphone a tendance à le transformer aussitôt en un pays d'Europe centrale, ou en un drôle d'oiseau à long cou et à la réputation agressive).

Le Mur Invisible, publié en 1968 dans sa version originale, relate l'expérience d'une femme confrontée à l'absurde : partie en vacances au fond d'une vallée de campagne, dans un petit refuge, elle se retrouve, du jour au lendemain, seule prisonnière d'un mur invisible, qui l'enferme alors dans la solitude des alpages et de la forêt. Il lui faut alors apprendre à survivre, semer des champs, accueillir les bêtes sauvages piégées dans la même cage bucolique qu'elle, couper le bois, traire la vache, renoncer à tout ce que la vie moderne et urbaine lui avait apporté, sans l'aide d'aucun autre être humain.

La saga des Voyageurs, dont le premier tome est publié en 2014, raconte quant à elle les aventures spatiales d'intels, des espèces aliens dotées d'intelligence (parmi lesquels des humains, mais pas seulement), dans leur quotidien de space-opera : des manœuvres quotidiennes d'un vaisseau perceur de trous de ver dans le tome 1, au traitement digne des défunts dans un système clos basé sur le recyclage dans le tome 3, sans oublier la construction d'une amitié entre une clone et une IA dans le tome 2, ces romans, certes indépendants, mais tous interconnectés, s'attachent à décrire le soin, l'écoute, la compréhension inter-espèces, inter-individus. La métaphore est manifeste : les soucis de communication entre Aéluons et paires Sianates, leurs questionnements métaphysiques, leur rapport au divin, au sens de l'existence, à la fragilité de la vie, n'ont d'extraterrestre que le nom. C'est l'amour de l'altérité, au sens le plus humain du terme, que raconte Becky Chambers.

Pour autant, la dernière est classée dans les romans de science fiction, quand Marlen Haushofer se trouve rangée dans les romans étrangers. L'une comme l'autre racontent la survie, l'écologie, le respect du vivant, au travers d'intrigues romanesques que l'on pourrait qualifier de délirantes, oniriques, bien loin de nos préoccupations contingentes de lecteurs occidentaux de 2025. Quand elle m'a offert Le Mur Invisible, mon amie C. m'a dit "c'est aussi un livre féministe, à sa façon". J'ajouterais : "c'est aussi un livre de science-fiction, à sa façon".

Pourtant grande lectrice, avide de culture et réfractaire à aucun genre, j'ai mis une trentaine d'années à lire des autrices femmes, et plus encore à lire de la science-fiction. Les premières, car tout au long de mon parcours scolaire et universitaire, les bibliographies étaient hantées par les hommes ; la seconde, parce que je voyais la science-fiction comme un genre qui engendrait quelques bijoux de réflexion parmi un océan de divertissements passables, vaguement rigolos, mais trop souvent gangrenés par les guerres, les armes, trop souvent aseptisés aussi : où sont les parfums, les odeurs, les textures, dans les vaisseaux lisses et blancs pilotés par des voix robotiques ? Où sont les étreintes, la tendresse, au milieu de ce magma de violence d'une survie pensée comme une lutte de la chaîne alimentaire ? Tels étaient mes préjugés, construits par une culture élitiste des grands auteurs - non que je crache sur eux, puisque je lis encore avec plaisir un Balzac ou un Dostoïevski et y trouve une profondeur remarquable - consignant la science-fiction parmi les rayonnages de para-littérature, et déplorant que les femmes avaient une vie trop difficile, trop hantée par les devoirs de mère-épouse-ménagère, pour trouver leur chambre à soi et remplir ma bibliothèque. Ce n'est qu'en renonçant à lire par carrière, en recommençant à lire par plaisir, que je me rendis compte de mon erreur.

Cependant, maintenant que Becky Chambers m'a réconciliée avec le space-opera et que les autrices peuplent les rayonnages de ma mémoire, je ne peux que repérer une constante : il semble que ce soit surtout les femmes, comme le remarquait la narratrice du Mur Invisible dans l'extrait que j'ai cité au début de ce texte, qui se préoccupent de préserver le vivant. Le Mur Invisible pourrait être qualifié de roman post-apocalyptique : son héroïne y apprend la survie. Mais à l'inverse des innombrables séries, films, jeux-vidéos post-apo qui inondent nos écrans depuis une vingtaine d'années, cette survie n'est pas fondée sur la violence, mais le soin. Certes, la lente émergence de pousses de patates est moins spectaculaire que le démembrage au katana d'une horde de zombies. Moins cinématographique ? Je ne sais pas. On regarde bien des time-lapses d'éclosions de champignons sur nos réseaux sociaux. En tout cas, c'est sûr, un roman post-apo entier qui se préoccupe plus de l'ensemencement selon les saisons que de la nature martiale et guerrière de ce mur invisible - qui, pour la narratrice, ne peut être que la dernière invention macabre de pays en guerre (roman, je le rappelle, écrit en pleine guerre froide) - ce n'est pas banal.

La vogue du post-apo n'est pas tellement surprenante. Nous voici plongés dans des angoisses millénaristes, avec les résurgences de discours extrêmement violents de part et d'autres du globe, le retour de la guerre en Europe, les massacres religieux, additionnés à l'évidence du réchauffement climatique et à la compréhension que la façon dont nous vivions jusqu'il y a peu, dans une consommation délirante, nous mène droit à notre perte. Je suis de la génération qui se faisait une fête des jouets en plastique Made In China collectionnés boulimiquement dans les Happy Meal, et qui aujourd'hui renonce à faire des enfants par crainte de l'avenir qu'elle leur laissera. L'idée que nous verrons de nos yeux l'effondrement du monde est devenue une pensée quotidienne. Le post-apo est moins un fantasme qu'une projection. En attendant le déluge, nous essayons de le prévoir.

Or voilà que ces prévisions n'envisagent la survie que sous le prisme de la violence. Les néo-communautés humaines de Last of Us ou The Walking Dead se bâtissent en commandos guerriers menacés par la tyrannie ou le cannibalisme. Quand on s'imagine surpris dans une invasion zombie, demain, on calcule très vite à combien de kilomètres on se trouve d'une armurerie à dévaliser ; on se demande moins, en revanche, si l'on a quelque notion du calendrier des semences.

Ainsi : je fais l'hypothèse que si l'on aime, dans le genre du post-apo, l'idée de refaire table rase d'un monde devenu asphyxiant et toxique, l'on ne parvient à imaginer le suivant que selon les mêmes termes de la prédation et de la destruction.

Que vient faire le féminisme là-dedans ? Il y a un débat que je ne saurais mener sur les qualités de soin et de préservation plus manifestes chez les femmes. Est-ce biologique, est-ce culturel, est-ce une réalité ou une idée reçue, je n'en ai aucune idée et aucune prétention à trancher à ce sujet. Mais de fait, Becky Chambers comme Marlen Haushofer sont des écrivains femmes, qui proposent des personnages féminins, qui prennent soin d'autrui - notons que Becky Chambers invente aussi des personnages masculins qui font de même. Elles proposent un avenir après l'apocalypse qui ne raconte pas la violence, mais la tendresse. De l'apocalypse, je n'ai connu que les confinements du Covid, et certains épisodes de désespoir : dans les deux cas, notre survie psychique a tenu aux plantes qu'on a fait pousser sur nos balcons, derrière nos fenêtres, et aux animaux qu'on a observés repeupler les villes désertes. Ce qui me permet de ne pas sombrer totalement dans le désespoir quand je contemple notre monde, c'est la perspective d'un café avec mon amie C., sans rivalité ni rancœur, l'émergence de minuscules pousses de piment dans mon potager de balcon improvisé, l'existence des baisers sur le front qu'on ne représente dans pratiquement aucun film de science-fiction.

Comme l'écrivait ici Bad_Educatian plus tôt, il ne faut pas oublier la tendresse. On ne peut pas, je crois, imaginer le futur sans tendresse, sans amour de l'altérité et du vivant. Les littératures de l'imaginaire peuvent nous aider à le faire, et ce n'est pas le travail de quelques autrices féministes. Il s'agira de les défendre, au-delà des étiquettes de genre. Notre survie, au sens le plus strict et pragmatique du terme, en dépend.

Céléphaïs

Nous naviguons dans la tourmente, le maëlstrom du monde commun. Notre mât se brise sous la houle, le sel ronge la coque et nos lèvres desséchées. Sans cesse nous écopons, colmatages de fortune d'une cale perméable. Nos nuits sont boueuses. Le naufrage a depuis longtemps cessé d'être une inquiétude, il est une hypothèse permanente, plausible, imminente. Et pourtant nous tenons.

Il existe un port. Il existe un abri, dissimulé dans le tréfond de nos mémoires, où l'on accoste notre âme, refuge de fortune, le temps d'une réparation, une lueur dans la brume, une chope qui désaltère et une consolation. Il existe cette île, que certains de nous connaissent, refuge onirique à nos tempêtes et nos avaries, qui porte bien des noms : Céléphaïs, Youkali. Aucune carte n'y mène, aucun cartographe n'a su, jusqu'ici, indiquer de façon sûre sa route. On y échoue souvent par hasard, quand l'espoir nous avait désertés. On se souvient parfois de quelle étoile, quelle constellation observer pour y retourner, alors on essaie de contempler le ciel, trouver la configuration parfaite, par-delà la tempête et le désespoir.

Aussi, les autres marins nous croient fous. Ils se rient de nous, chercheurs d'un trésor qui n'aurait jamais existé. D'aucuns parfois tentent de nous expliquer nos erreurs, de nous dissuader de nos errances : il faudrait, disent-ils, surtout changer le bois de la cale pour de l'acier, installer un moteur, sans se douter que les récifs bordant notre île dévorent le métal comme Charybde et Scylla. Ils rient de nos chimères ; la rationalité et la technologie sont les alliés de tout navigateur, disent-ils, pourquoi courir le péril d'une coque branlante, d'un rafiot brinquebalant et peu sûr, pour traquer une île sans lieu, ancrée seulement dans nos mémoires ?

Pourtant, nous continuons, car nous savons. Nous avons cru devenir fous, mourir mille fois, avons failli renoncer plus encore. Mais un jour que l'eau douce venait à manquer, que les flots battaient la coque grinçant comme hurle une harpie, je t'ai croisé. Tu m'as parlé d'une île qui n'existait sur aucune carte, un lieu qui n'existait que dans ta mémoire, que tu avais quitté hier, que tu retrouverais. Alors j'ai su que je devais te croire. Que tu n'étais pas fou, ni moi. Nous avons amarré nos radeaux l'un à l'autre, quelques algues desséchées dont on a su faire des cordes, et les bribes de nos souvenirs de la route accordés l'un à l'autre comme autant de tessons d'un vase brisé. L'océan nous avale, mais nous ne sommes plus seuls.

Nous cherchons Céléphaïs ensemble, et si elle existe pour toi, pour moi, elle existe pour d'autres, elle, lui, eux, vous. Nous nous retrouverons.

Tendresses

Mes gestes, mes regards, mes paroles ne manquent pas de cette tendresse que l’on décrit dans les dictionnaires. Mais, la tendresse qui m’intéresse est celle que l’on dévoile en public, que l’on éprouve sans se cacher.

J’ai de la tendresse pour Chloé.

Pourtant, je ne connais pas vraiment Chloé. Nous nous sommes croisés une fois, nous avons parlé deux fois au téléphone, nous avons échangé quelques messages sur les réseaux sociaux. Elle suit mes publications, je suis les siennes. Je voudrais qu’elle illustre mes projets, elle attend patiemment que je les termine.

J’ai de la tendresse pour Chloé depuis notre première rencontre. C’était à Cannes, dans les sous-sols du Palais des Festivals. Ma première participation au Festival des Jeux, et l’avant-dernière. Elle s’est posée devant le stand, son book sous le bras. Timide peut-être, je ne m’en souviens pas. Elle était la jeune illustratrice, j’étais l’éditeur. Elle m’a tendu son book. Je l’ai pris. Probablement avec trop de nonchalance, c’était le dixième ou le quinzième de la journée. Ils se ressemblaient tous plus ou moins : techniques impressionnantes, illustrations léchées, numérisées, colorisées, photoshopées. Peu d’âme, finalement. Chloé débarque avec ses aquarelles, ses crayonnés, ses erreurs et son authenticité. Quelques images numérisées, bien sûr, pour signifier « je maitrise aussi les standards de l’industrie ». Je m’attarde davantage au travail de l’artiste qu’à celui de la graphiste-qui-maitrise-les-standards. Ainsi, je sais que j’éprouve de la tendresse, d’abord pour les œuvres, puis pour Chloé, la turbo-féministe rageuse pyromane.

La tendresse n’est pas une préoccupation. Je ne me pose pas particulièrement de question sur le sujet. Je la ressens vers moi ou de moi. C’est à peu près tout. Jusqu’à cette question de Chloé sur un réseau social dont le boss vient de s’affranchir de toute forme de modération.

Exactement le genre de question que je ne devrais pas lire. Encore moins commencer à y réfléchir. Déjà, c’est quoi, la tendresse ? Je pique le truc de Lola Lafon.

Tendresse, nom féminin : Sentiment tendre d'amitié, d'affection, d'amour qui se manifeste par des paroles, des gestes doux et des attentions délicates. La tendresse d'une mère pour son enfant ; un élan de tendresse.

Voilà donc le cœur du problème. La tendresse aux mères, la froideur au reste. J’ai été, je suis, tendre dans l’intimité, à l’abri du foyer. Avec ma compagne, avec mes enfants. Avec mes amantes et mes amants, aussi. Certainement. Mes gestes, mes regards, mes paroles ne manquent pas de cette tendresse que l’on décrit dans les dictionnaires. Mais la tendresse qui m’intéresse est celle que l’on dévoile en public, que l’on éprouve sans se cacher.

Je suis de la génération des crises économiques, de la new wave, du grunge, de la chute du Mur, de Tchernobyl et du SIDA. Celle qu’on oublie, perdue entre les boomers et les millenials. Celle qui devait hériter des bienfaits des Trente Glorieuses. Et des libertés gagnées avec les pavés de 68. Summer of Love, amour libre, loisirs… Celle, aussi, dont les grands-parents avaient connu la Seconde Guerre mondiale, dont certains parents étaient partis se battre en Algérie. Autant dire que la tendresse n’était pas tellement le truc des pères et des grands-pères. Élevés à la dure, au travail dès le plus jeune âge pour aider à la ferme, pour eux, le geste de tendresse n’existait simplement pas. Par pudeur peut-être, par ignorance aussi. Un homme, ça ne pleurait pas. Enfin, pas devant les autres.

Je ne me souviens d’aucun geste de tendresse dans ma famille. J’ai pourtant grandi dans une famille aimante. Ma mère était présente et protectrice. Mon père était encourageant et ne cachait pas sa fierté quand ses fils devenaient des humains décents. Mes grands-parents étaient aimants, sans l’ombre d’un doute. Aucune démonstration de tendresse, cependant. De la pudeur. Seulement de la pudeur. Autant que je m’en souvienne, ce n’est pas non plus l’arrivée dans l’activité sexuelle qui m’a fait découvrir une quelconque forme de tendresse. L’éducation sexuelle devait être abordée au collège. De ça je me rappelle. La prof de SVT, une ancienne, recrutée avant 68, était consciencieuse. Les programmes étaient formels, mais pas particulièrement explicites. Il fallait aborder les organes reproducteurs et leur utilisation en vue de la pérennité de l’espèce. Remarquez bien qu’il n’est pas question de plaisir, les hippies de 68 ne concevaient pas encore ledit programme. La prof, consciencieuse donc, s’appliqua à nous enseigner la reproduction des cailloux. Depuis, je dois bien avouer mon émoi quand j’observe une éruption volcanique. Tous ces fluides visqueux, brulants, qui jaillissent et s’écoulent lentement. La décennie durant laquelle j’ai découvert la sexualité s’affranchissait plutôt facilement de la tendresse amoureuse. Un héritage des soixante-huitards. Jouir comme je veux, avec qui je veux, quand je veux. La promesse de libération sexuelle s’était mue en une forme de compétition de baise. Les hommes, et par conséquent les jeunes hommes qui les imitent, devaient estimer que les femmes, désormais libérées sexuellement, étaient disposées à tout accepter, tout le temps, et encore plus si c’était athlétique. Chez les gays, pareil. Sexe, drogue et YOLO. Jusqu’au SIDA. Je ne sais plus si les premières formes de tendresse masculine que j’ai rencontrées viennent des milieux gays. Avec la maladie, le sexe pour le sexe était une roulette russe. Les caresses ont remplacé le cul. Mais pas les victimes. Ni apaisée la rage.

C’est encore loin de ce que je recherche. Pas la tendresse des dictionnaires, mais celle que moi, humain se définissant comme masculin, exprime publiquement et ouvertement. Je crois que j’ai découvert cette expression de la tendresse dans la mélancolie. Le trait de caractère qui me correspond le mieux. Plus encore, je me définis comme un mélancolique. Je le revendique. À la fois envahi d’un bonheur intense et d’une profonde tristesse par un paysage, un sourire, un détail, un son, quelques mots… La mélancolie est intimement liée à la capacité à chercher la beauté, à s’émerveiller, à imaginer, à s’extraire du quotidien. C’est précisément ici que réside la douleur. On ne s’extrait pas du quotidien. Il n’en reste pas moins que cette tendresse mélancolique est l’exact opposé de toutes formes de cynisme. De ça j’en suis heureux. La tendresse que j’éprouve pour Chloé est de celle-ci. Elle est une extension de ce que je ressens devant ses œuvres qui touchent exactement les points sensibles de ma mélancolie.

C’est trop facile. La mélancolie me permettrait ainsi d’inonder le monde de ma tendresse. Et pourquoi pas la sensibilité à l’art ? L’empathie ? Non, je ne peux pas m’en contenter.

C’est, une fois encore, dans les ténèbres que j’irai puiser. Tout commence par le jeu de rôle. Une part essentielle de ce que je suis. Imaginer des aventures incroyables, explorer des mondes fabuleux, interpréter des personnages à l’infinie variété. Vivre mille vies. Longtemps, les potes et moi avons joué « gentiment ». De temps à autre, il était question de personnages à la moralité discutable. Un de mes kinks rôliste est de pousser le curseur, de jouer avec les limites, parfois de les franchir. Je trouve sain et cathartique de se frotter à un imaginaire sombre, très sombre, voire hardcore. Autour d’une table, peu de chance de finir en taule, en HP ou six pieds sous terre. À jouer dans un imaginaire commun particulièrement trash, il devient nécessaire de s’assurer que tous les participants y prennent du plaisir. Cela tient en deux mots. Le premier, magique : safeword. Le second, la clé, la source : aftercare. L’emprunt au vocabulaire BDSM n’est pas fortuit. De mes expériences, discussions, lectures et réflexion, le parallèle entre jeux de rôle et BDSM me semble assez évident. Nous jouons avec nos limites, les poussant pour les éprouver. Nous les franchissons parfois pour découvrir d’autres horizons. Toujours dans le consentement. Toujours avec l’idée que ce sont des jeux. Nous jouons avec nos peurs, nos douleurs, nos pulsions, avec ce qui nous révulse aussi. Nous explorons nos ténèbres. Quand la session se termine, les participants prennent soin les uns des autres avant de revenir à la réalité. J’ai découvert ici une profonde et authentique forme de tendresse. Dans l’abandon des masques et des armures sociales. Sans jugement aucun. Simplement prendre soin de l’autre. Simplement dévoiler sa tendresse.

Horreur rurale

INCIPIT, subst. masc. inv. : Premiers mots d'un manuscrit, d'un texte ; début d'une œuvre musicale. En référence à la locution latine que l'on trouve au début des manuscrits latin du Moyen Âge : incipit liber « ici commence le livre ».

Voici les premières lignes d'une histoire qui se racontera quand les joueuses et les joueurs s'en empareront. Elle est incomplète. Personne n'en connaîtra jamais toutes les versions.

Le village est niché au fond d'un val escarpé creusé par la rivière qui le traverse toujours. Coincé entre des falaises et une forêt immémoriale, il n'est pas tout à fait reclus, mais reste d'un accès difficile. Il a survécu à bien des bouleversements, des guerres et des révolutions. La dernière en date, cependant, a presque eu raison de lui. L'exode. Tant de familles l'ont quitté pour la grande ville, toute proche et si lointaine. Pourtant, une fois de plus, la source pourrait le sauver encore.

La tempête fait rage plusieurs jours. Alternant pluies diluviennes, froid mordant, neiges soudaines et tornades. Une apocalypse. Arbres arrachés. Crue de la rivière. Destruction du pont. Routes et communications coupées. Réseau électrique défaillant. Le village se réveille hors du monde et découvre l'horreur d'un corps mutilé, comme dévoré par une bête immonde.

Les personnages sont la Loi, la Mémoire, la Cheville ouvrière, l'Enfant prodigue, la Vieille fortune. Arc narratif de quelques sessions, s'appuyant sur Rooted in Trophy, il explore les relations entre les locaux, autant que les mystères horrifiques qui entourent le village. Il puise son inspiration dans l'horreur folklorique et nordique. Un lieu isolé, des personnages qui ne peuvent compter que sur eux-mêmes, des histoires anciennes.